L’alchimie

1993

L’alchimie


Changer le métal ordinaire en or ou en argent , le rêve grandiose et chimérique des anciens alchimistes pourrait nous paraître dérisoire si certains témoignages ne venaient pas affirmer que le rêve des fous du Grand œuvre s’est parfois réalisé… Qu’ils aient découvert ou non la pierre philosophale, les grands alchimistes, en traquant les secrets de la matière, ont souvent contribué à l’avènement de la science moderne.

En l’an de grâce 1666, deux jours après Noël, un étrange visiteur, à l’aspect peu engageant, se présente au logis de Friedrich Johann Schweitzer, médecin du prince d’Orange : De taille moyenne, il avait un visage plutôt allongé, légèrement grêlé de petite vérole, une chevelure sombre, sans aucune trace de frisure, et un menton imberbe. Il pouvait avoir quarante-deux ou quarante-trois ans et était natif des provinces du Nord. Comme on peut le voir, l’éminent chirurgien, auteur de plusieurs traités de botanique et de médecine, était un observateur aussi attentif qu’objectif. Après avoir échangé quelques banalités d’usage, l’inconnu demande soudain à Schweitzer s’il se croit capable de reconnaître la pierre philosophale si on la lui mettait devant les yeux, singulière question ! La pierre philosophale, dont les alchimistes cherchaient à percer le secret, avait, disait-on, le pouvoir de changer en or les métaux ordinaires. Sous une forme liquide, la même fabuleuse substance, dite « élixir de longue vie », était réputée guérir tous les maux et assurer une extraordinaire longévité. C’est alors que le visiteur sort de son gousset une petite boîte d’ivoire. A l’intérieur se trouvent trois morceaux d’une matière pesante et translucide, d’une pâle couleur soufrée, chacune de la taille d’une petite noix. Voici, affirme l’étranger, la précieuse substance dont les alchimistes ont si longtemps cherché le secret. Schweitzer s’empare avidement de l’une des pierres pour l’examiner et supplie son interlocuteur de lui en laisser un petit fragment. Celui-ci ayant refusé, il parvient néanmoins, avant de lui restituer l’objet, à en détacher subrepticement un minuscule éclat avec son ongle. Dès que son visiteur l’a quitté. en lui promettant de revenir dans trois semaines pour lui montrer certaines expériences curieuses, Schweitzer se précipite dans son laboratoire. Il fait fondre un peu de plomb dans un creuset et ajoute alors la parcelle qu’il a dérobée. Il se produisit alors un bouillonnement intense accompagné de sifflement, si bien qu’au bout d’un quart d’heure la totalité de la masse de plomb s’était transformée en or fin.

Le lendemain, le philosophe Spinoza, qui demeure non loin de là, vient examiner l’or ainsi obtenu, et il se déclare convaincu de la sincérité de Schweitzer. Puis c’est à l’essayeur patenté de la province que l’on demande de vérifier le titre du métal, que l’orfèvre Buectel soumet à divers autres tests. Les résultats sont concluants : c’est bien de l’or, et du meilleur aloi. La bonne foi de Schweitzer ne peut guère être mise en doute. Ce médecin réputé, cet esprit scientifique était incontestablement un observateur objectif, peu suspect de fraude ou de mystification. Et cependant, ce que nous savons aujourd’hui de la structure de la matière, et plus particulièrement des propriétés des métaux, nous interdit évidemment de croire à la possibilité d’une telle transmutation. Schweitzer n’est d’ailleurs pas le seul savant de son temps qui crut fermement à l’existence de la pierre philosophale. D’autres hommes de science éminents ont affirmé avoir réalisé, ou vu de leurs propres yeux la transmutation de métaux non précieux en or. Tel est le cas du grand chimiste flamand Jan Baptist Van Helmont, qui fut notamment le premier à affirmer qu’il existait de nombreux autres gaz que l’air il est d’ailleurs l’inventeur du terme même de gaz, dérivé du mot chaos.

Friedrich Johann Schweitzer, un des savants qui affirment avoir assisté à une transmutation des métaux!

Les théories d’Aristote reposent sur l’unité du principe de la « matière », qui ne possède en elle-même aucune propriété physique spécifique, mais à laquelle peuvent être imprimées différentes formes. Notons que par le terme « forme » il n’entend pas seulement les contours concrets, mais toutes les propriétés physiques ou chimiques caractéristiques d’un corps ou d’une substance ; propriétés qui peuvent se résumer à quatre caractères essentiels, l’humidité, la sécheresse, le chaud et le froid. Ces caractères primordiaux sont incarnés par les quatre éléments, le feu qui est chaud et sec, l’air qui est chaud et humide ; exemple, la vapeur, l’eau (froide et humide) et la terre (froide et sèche). A partir de cette conception du monde sensible, on arrive logiquement à l’idée que chaque substance spécifique résulte de la combinaison des quatre éléments de base, dans des proportions variables. Prenons l’exemple d’une bûche de bois vert mise dans le feu, sous l’effet de la chaleur, on voit tout d’abord se condenser à la surface du bois de fines gouttelettes d’eau qui ne tardent pas à se transformer en vapeur. Puis le bois se consume, donnant donc apparemment naissance aux flammes. Enfin, à la fin de la combustion, il restera des cendres, c’est-à-dire de la « terre ». A partir de là, on peut donc aisément imaginer la transformation d’une substance en une autre, il suffit de modifier par addition ou soustraction les proportions des différents éléments.

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