Paysage du rêve

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Paysage du rêve

La majorité des rêves ont pour décor un certain paysage dont on se souvient au matin. Bien qu’il n’ait pas une part active à l’élaboration des événements oniriques, ce paysage a pourtant une importance bien particulière.

Il peut tout d’abord appartenir à un monde familier : par exemple tel village où nous avons passé nos vacances, le décor de telle ferme que nous connaissons. Ce sont peut-être les environs d’une ville où nous avons fait nos études, occupé une situation. Dans les rêves qui parlent de guerre, il peut s’agir d’un paysage ennemi dont le souvenir est particulièrement douloureux, ou de celui de son propre pays dévasté. Souvent ce sont deux paysages qui se superposent comme deux films ; le rêve se rapporte alors manifestement aux deux décors ; le deuxième est un affmement de l’action onirique, il apporte les nuances.

Il faut rechercher dans la vie présente ou dans les souvenirs ce qui se rapporte au paysage familier ou à une partie de celui-ci.

Au cours de plusieurs de ses rêves, une rêveuse se vit dans dans les dunes de sa plage natale. Le contexte montrait que jeune, elle y avait eu une aventure sentimentale. Quelque chose se rapportant à ce paysage ou ces événements est présent en elle ; le rêve exprime probablement le mieux possible son état psychique actuel. Les rapports entre les événements, le rêveur ne les voit souvent qu’après. « C’était une région qui ressemblait à celle de chez mon ami près de Grenoble. Il était aussi question d’un monastère dans mon rêve, et j’avais pensé à la Chartreuse ». Il faut naturellement poser des questions au sujet de cet ami, examiner l’aspect de ce monastère et la pensée qui amenait à l’association de la Chartreuse.

Lorsqu’on rêve on voit la silhouette d’une ville connue avec un bâtiment qui n’existe pas en réalité, par exemple une église, un nouveau motif s’est inséré dans ce panorama psychique. L’architecte qui préside à la construction de nos rêves a jugé nécessaire d’y ajouter la note religieuse. Il peut aussi jeter un pont sur un fleuve là où il n’y en a pas. Il s’agit donc assurérnent de parvenir de l’autre côté à cet endroit, ici même ; c’est cet « ici » qu’il convient d’examiner. Il faut se rappeler aussi que l’endroit du pont, tout comme le gué ou le col, est particulièrement exposé aux dangers.

Le rêveur indique souvent clairement la rue qu’il parcourait et avec quelle intention. Il se trouve par conséquent intérieurement sur le chemin qui mène vers le contenu symbolisé par le but de son trajet.

Aussi fréquemment que dans un décor familier, l’action onirique peut se dérouler dans un décor généralement inconnu. On peut traverser des forêts sauvages, de grandes plaines, de hautes montagnes. Le paysage est toujours symbolique dans ces cas. Un homme, acres un intense travail intellectuel qui le plaçait dans une grande solitude pendant plusieurs années, rêvait qu’il quittait les glaciers pour descendre dans la vallée. Il rencontre à nouveau des hommes et apprend d’eux qu’il a longtemps vécu dans le froid et la solitude des sommets. On sait par Nietzsche les dangers et la terreur que réservent une telle époque de solitude.

Mais ce paysage de désolation n’est peut-être pas encore aussi effrayant que le désert, en réalité et dans les rêves. Là, tout semble voué à la consomption, à l’extermination ; certains rêves grouillent de serpents ; l’eau, synonyme de vie, s’est épuisée. Pour le rêveur, c’est une période désertique avec toutes les dangereuses manifestations qui accompagnent la solitude : hallucinations auditives et visuelles dénotant la p.erte totale du contact de la vie. Mais le rêveur peut aussi évoluer dans des paysages aimables et harmonieux. Par ailleurs le paysage peut encore indiquer la saison, c’est-à-dire l’époque de la vie du rêveur.

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Après avoir mentionné les périls d’un paysage hivernal, il apparaît à peine nécessaire de préciser que le paysage de printemps est d’une tonalité nettement positive. Là ce sont des prairies vertes, des champs de blé en herbe, des arbres en fleur. Le rêveur peut évidemment se demander pourquoi ce renouveau en lui alors qu’il doit, dans la conscience, traverser une période si difficile, si obscure, parcourir « l’hiver
de sa mauvaise fortune » (G?lhe). C’est que l’élan nouveau, celui du printemps, se trouve encore dans sa phase inconsciente. Un paysage de moisson, de fruits est également un bon paysage, cela va de soi. Il est quelquefois difficile pour un vieux rêveur d’admettre la réalité du paysage d’automne. Il faut que les rêves lui disent que c’en est fait de son été. Il s’agit par exemple d’un petit train de chevaux ébouriffés tirant un chariot à claire-voie à travers un paysage dont les bois se colorent déjà de rouge et de jaune. La vie du rêveur est comparée à un voyage un peu rude avec des bagages qui sont ses bagages et qui le mènera au lieu de sa destination.

Le fait que le rêveur est mis en présence de paysages merveilleux qui signifient joie et consolation, n’exclut pas cette autre signification d’après laquelle ces grands rêves peuvent annoncer un danger mortel quand on les considère comme le présage d’une autre vie. Nous y avons déjà fait allusion dans le chapitre des rêves qui surviennent pendant les maladies graves.

Le rêveur qui habite des contrées éloignées de la mer peut rêver qu’il se trouve dans un paysage au bord de la mer. Lorsque les souvenirs personnels ne sont pas dominants, il est alors question de notre participation à la mer primitive de l’inconscient collectif. Jung dit dans son dernier ouvrage : « La mer est le symbole de l’inconscient collectif, parce qu’au-dessous des reflets brillants de sa surface, elle renferme des profondeurs insoupçonnables. » Et encore : « La mer est un lieu de prédilection pour la naissance de visions, c’est-à-dire pour l’irruption de contenus inconscients. »

Calme ou tourmentée, la mer a toujours quelque chose de fascinant, que cela soit en réalité ou pendant le rêve. A travers ses clairs horizons et ses sombres abîmes, c’est l’ensorcellement, la fascination qui émane de l’immense et puissant inconscient. Les nymphes constituent une personnification de cet aspect insondable ; elles représentent dans les rêves masculins des contenus très lointains du moi qui apparaissent sur les rivages de la conscience. On sait que ces chants de sirène sont dangereux, que ces Ondines et Loreleys peuvent précipiter les hommes dans les abîmes de leurs profondeurs, celles de l’inconscient.

Marcher en rêve le long de la mer correspond intérieurement, et sur le plan subjectif, à marcher au bord de l’inconscient collectif. Dans ce cas, aussi bien en rêve que dans la vie du rêveur, il y a un événement nouveau qui intéresse sa personnalité globale.

D’après ce que prouve l’expérience, un processus psychique dont le contenu ne s’éloigne pas trop des régions dominées par le moi, se passe assez souvent dans la forêt. Celle-ci est un lieu privilégié de l’action onirique. Avec ses éclairages verdâtres tantôt sombres tantôt lumineux, la forêt figure la vie inconsciente et invisible du dehors ; elle renferme, tout comme la forêt primitive, des êtres multiples, paisibles ou dangereux, et en elle peut se rassembler ce qui un jour sortira dans le champ cultivé et clair de notre conscience.

Dans la forêt jaillissent des sources fraîches, en elle se complaît une faune variée et presque toujours invisible ? ours, cerfs et biches dans les rêves ? mais aussi, méconnaissant en cela la réalité des conditions, le tigre, ou bien la lourde puissance de l’éléphant, parfois même le loup et le lion, ces deux rois de la steppe septentrionale et méridionale. Le promeneur peut aussi se retrouver tout à coup en présence, du grand serpent vert sombre qui lui barre le chemin.

Si l’on insère la signification de ces animaux dans le rêve de la forêt, on reconnaîtra des aspects qui en nous étaient relativement proches de la conscience bien que cachés à nos yeux. Cette forêt est d’ailleurs également habitée par des hommes et des êtres qui leur ressemblent plus ou moins. Les contes, ces rêves collectifs de l’humanité, en disent long là-dessus. Car notre obscur inconscient renferme ce que notre existence bourgeoise défend de faire sortir au grand jour. Voici par exemple le « brigand », cette partie asociale, primitive et dangereuse de notre être, qui s’est retiré dans une grotte au fond des bois. Les enfants, ces possibilités, ces projets qu’il ne nous a pas été donné de vivre, sont abandonnés dans la forêt et pris en charge par les animaux sauvages qui sont bien moins impitoyables et plus humains que notre fière conscience. De belles jeunes filles, de belles femmes habitent la forêt où elles sont traquées ? une allégorie pour figurer notre mauvaise relation avec les personnages intérieurs, ces Peau-d’Ane, ces Blancheneige de notre inconscient qui concernent bien plutôt le monde des adultes que celui des enfants. Certains tournent à la méchanceté, deviennent sorcières et ogres des forêts, ou. bien restent à un niveau de culture très primitif. Plus d’un rêveur en fait la rencontre.

La forêt n’a pas la même signification pour le jeune et pour le vieux rêveur. Le jeune individu doit s’ouvrir un passage à travers les taillis de sa nature primitive afin dé parvenir à une existence plus consciente et plus cultivée. C’est ce qui explique le rêve d’un lycéen qui avait en rêve à se frayer un chemin dans une immense forêt pleine d’animaux féroces, d’hommes primitifs bruyamment assis autour de leurs feux, et qui constatait enfin avec soulagement qu’il était parvenu sur un sommet inondé de soleil. Le rêve de cet autre étudiant qui construisait une route dans la forêt était franchement bon.

Les vieux, se voyant transportés, à leur étonnement, dans les forêts de leurs rêves, ont toutes raisons pour examiner d’abord ce qui se trame dans ces sous-bois de l’inconscient, si pénible que cela leur paraisse. Une valeur importante, un aspect oublié de leur être peut s’y être réfugié, se nourrissant des fruits dont les bois de l’inconscient aussi ne manquent pas.
Ni le jeune, ni le vieux rêveur n’ont le droit de rester continuellement dans la forêt ; nous ne devons pas rester hommes des bois ou le redev jùr, encore moins des nains ou des lutins. Même le plus innocSnt des ermites, qui ne quitte jamais son pauvre repaire, perd sa qualité d’homme, il devient arbre et vieille bête, il devient forêt et par conséquent pure nature primitive.

Il n’y a pas un endroit, une région géographique ou psychique à laquelle le rêve ne revient plus fréquemment que le pays de la jeunesse. Combien de rêves commencent de la façon suivante : j’étais chez moi, dans notre ancienne maison, dans la ville ou le village où j’ai été élevé. Il semble parfois que les rêves n’arrivent plus à quitter le lieu de l’enfance. Une partie de l’âme du rêveur adulte se trouve manifestement dans une situation intérieure qui, ou bien rappelle les événements de la jeunesse, ou bien s’exprime le mieux par leur représentation imagée.

Personne ne méconnaîtra l’importance que revêt la jeunesse pour les années à venir dans la vie d’un individu. Pourtant il convient de ne pas commettre l’erreur de ceux qui veulent à coup sûr retrouver dans les tournants positifs ou négatifs de la destinée, dans les difficultés caractérielles futures, une situation enfantine simplifiée, par exemple la constellation parents-enfants particulière.

Entre autres, l’intensité propre aux rêves de jeunesse des adultes vient de ce que pendant ses premières années, l’enfant éprouve le monde d’une façon presque magique, à la
manière d’un pays merveilleux ; inconsciemment, il est un avec ce monde. Mais la conscience réfléchie reçoit également de fortes impressions dans un psychisme encore jeune et frais. La première rencontre avec la vie s’effectue d’une façon « saisissante ». On en pressent ses aspects peu rassurants et déroutants, mais aussi l’ordre, la plénitude et la beauté. La jeunesse est une époque de mythes personnels, c’est, puissamment symbolique, le matin de la vie. Une jeunesse vide ou méconnue entraîne pour les décades à venir une détresse particulièrement amère.

Chez la plupart des enfants, la jeunesse est encore exempte des graves soucis de l’existence. C’est également une époque qui n’est pas placée sous le signe des puissances sensuelles, divines ,ou démoniaques ; le jeune individu a encore toutes ses facultés intactes ; même ses misères ne sont jamais définitives. C’est une des raisons qui expliquent la nostalgie rétrospective de ceux qui vieillissent et ont épuisé leurs maigres ressources. Par ailleurs l’enfant habite un milieu qu’il aime ; il est protégé, il se sent chez lui.
Il faut tenir compte de toutes ces considérations lorsqu’on interprète des rêves qui se déroulent dans le décor d’autrefois. Ces rêves du pays de la jeunesse peuvent avoir un sens positif ou négatif. Au cours de notre évolution personnelle, toutes les facultés dont la vie nous a gratifiées à l’origine, ne sont pas utilisées. Une partie de celles-ci reste latente dans la région de l’âme qui renferme les images de notre jeunesse. On rêve souvent d’une’ certaine rue d’autrefois et dont on avait complètement oublié l’existence. Il faut alors se demander : Qui habitait cette rue, que s’y est-il passé, pourquoi 1’empruntions-nous plusieurs nuits consécutivement ? Avec l’aide du contexte et des idées suggérées automatiquement, on pourra y répondre ; on en viendra à faire des rapprochements qui ranimeront une partie de ce qui a été laissé dans cette rue avec ses habitants. C’est ce contenu qu’il convient à présent d’assimiler.

Nous pouvons encore avoir laissé ailleurs une partie de nous-mêmes, par exemple dans une chambre, une cour, le long d’un canal ou dans des jardins dont le souvenir s’est perdu. Nous sommes à un moment de notre vie où nous n’avançons plus, et il nous faut trouver dans le rêve ce que nous avions investi à tel endroit, en la personne de tel camarade ou dans tel livre de notre jeunesse. Des lieux, des animaux, des outils, des gens de l’entourage d’autrefois depuis
longtemps disparus apparaissent, et avec eux se manifeste tout ce pour quoi ils sont une allégorie. Ces contenus sont alors rapprochés de la conscience, ils deviennent palpables et peuvent constituer pour nous une possession nouvelle et plus approfondie.

Lorsqu’adultes, nous nous retrouvons au lieu de notre jeunesse, nous sommes revenus à notre personnalité élémentaire, vivante, celle qui peut donner lieu à des développements nouveaux. Lorsqu’un homme rencontre en rêve un de ses semblables, accueille une relation nouvelle et importante dans la rue de sa ville natale ou même dans sa maison paternelle, il a assimilé à son être élémentaire cet aspect nouveau de l’existence, ou il lui a fait face ; ce qui se passe à la maison se passe en nous. Ces rêves dans lesquels nous nous rencontrons avec des adultes de notre entourage actuel dans un décor qui appartenait à notre jeunesse ont une valeur positive.

D’ailleurs tous les événements actuels qui s’enchaînent à un souvenir heureux, par exemple à un succès d’école ou un départ en vacances, sont également très favorables. On se trouve à nouveau aux origines dynamiques de la personnalité, et ce qui nous arrive actuellement est accompagné de l’éclat rayonnant de la jeunesse. r

Mais si nous nous voyons nous-mêmes enfants dans ces rêves où reviennent les temps heureux ou pénibles d’autrefois, la signification est beaucoup moins favorable ; il y a quelque chose d’infantile en nous, de non développé, ou bien nous voulons revenir à la maison afin de fuir les responsabilités, nous retrouver parmi cet entourage qui nous choyait. Ce faisant nous nous éloignons encore davantage de la réalité et des obligations quotidiennes de notre monde d’adulte. Il peut encore se faire que des personnes dont l’activité est trop intense, les enragés du succès, aient de tels rêves par compensation ; l’appréciation unilatérale de l’existence, par exemple, une surestimation professionnelle ou une recherche de l’approbation font qu’ils négligent un aspect de leur développement. Il se crée ainsi une dangereuse tension entre 1′ « enfant », c’est-à-dire le côté non développé, et l’homme rusé avec ses succès spectaculaires. Comme on sait, ce côté infantile et non développé peut s’extérioriser d’une façon particulièrement ridicule et lamentable dans les relations avec la famille, lors d’une maladie ou d’une quelconque solitude imposée par le,* circonstances. Il y a aussi des rêveurs qui restent littéral ; àent agrippés à un état d’inconscience ; ils
se retirent secrètement dans un semblant d’éternelle jeunesse afin d’éviter les grandes et pénibles exigences de la vie. Les rêves qui s’échappent alors les représentent comme de véritables enfants, tout en réclamant au long du déroulement onirique une décision rapide et énergique pour sortir de cet infantilisme.

Personnages et événements, mais surtout ce décor magique des années de jeunesse apparaissent avec une particulière insistance vers,le milieu de la vie. Ils apportent le matériel que nous avons insuffisamment assimilé dans les années écoulées ? par exemple des événements pénibles, certaines relations familiales, des connaissances précoces mais oubliées depuis, ou l’expérience de la mort de personnes de notre, entourage, ? événements vis-à-vis desquels il nous faut changer notre façon de voir, après que la conception et le jugement que nous avons reçus du milieu se soient révélés amplement suffisants pour les deux premières décades de notre vie consciente. Ceux qui viennent de commencer leur carrière d’adulte ne doivent pas faire des rêves d’enfance, car leur vie porte en elle tout leur avenir, cette vie ne signifie jamais différenciation des événements passés. C’est donc un signe défavorable lorsque de jeunes personnes reviennent sans cesse en rêve à leur maison d’enfance. L’inconscient aussi ne doit pas être fasciné par ce qui a eu lieu pour délaisser ce qu’apportera l’avenir. Par contre, les rêves de jeunesse ont leur place au cours de la période de maturation de l’individu, car la construction de cette maturité exige également le matériel du passé. Chez de vieilles gens, ces rêves indiquent que le cycle de la vie s’est accomplis il y a chez eux un retour aux origines derrière lesquels point la première lueur prin-tanière d’une jeunesse beaucoup plus grande, d’une jeunesse éternelle, ou bien c’est déjà le premier pas vers une vie nouvelle.

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