Interpretation sur le plan subjectif

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Interpretation sur le plan subjectif

Chez beaucoup de rêveurs, le fait de rapporter le contenu de leurs rêves à la vie extérieure, par exemple aux relations avec telles ou telles personnes, ne donne aucun résultat satisfaisant. Car le récit du rêve n’a pas de rapports avec notre activité et les événements quotidiens ; il n’en est manifestement ni un reflet, ni un aspect complémentaire. Les personnes de notre connaissance qui font leur apparition sur la scène nocturne se comportent tout différemment qu’en réalité. Certes, lorsqu’un homme rêve que son enfant se fait écraser par un train s’élançant sur des voies inconnues, il est en droit de se demander si son enfant ne court pas réellement un grand danger. Il méditera soigneusement cette éventualité. Mais il aura en même temps l’impression qu’il ne s’agit pas de son enfant, mais bien de lui-même ; il traverse justement une période psychiquement dangereuse. En cela, son enfant devient un aspect essentiel de son âme à lui. S’il parvient d’une façon instinctive à une telle explication de son rêve, il aura interprété celui-ci sur le plan subjectif. L’impossibilité, lorsqu’il est question de parents, d’amis, de voisins ou même de gens très peu connus, d’interpréter les rêves sur un plan constamment objectif a fait naître l’hypothèse que ces personnes étaient une allusion à certains aspects personnels. Ceci est particulièrement clair lorsqu’il s’agit de personnages de théâtre, de roman ou même de ceux qui
appartiennent à la scène politique étrangère. Le fameux « Voilà ce que tu es » de la philosophie hindoue vaut pour la conception selon laquelle les personnages du rêve doivent être rapportés à des éléments internes de la personnalité du rêveur. Sur le plan subjectif, tout exprime la réalité de ce psychisme interne. Les personnes, mais aussi les êtres du monde animal et végétal qui peuplent nos rêves sont des incarnations, des manifestations de certains traits de notre être intime; l’action du rêve devient l’expression de nos fonctions et de notre évolution psychiques.

Sur le plan subjectif, nous sommes ce faisceau d’éléments distincts que le moi maintient réunis dans la conscience, dans la mesure où nous ne sommes pas atteints par une affection mentale ou une obsession quelconque. Ces éléments de notre personnalité dont le rêve brise l’intégrité, sont ordinairement projetés sur des personnes de notre entourage. Aussi longtemps que les différents aspects de notre caractère nous sont inconscients^ nous les voyons, nous les éprouvons sur celui d’autres individus. Nous subissons sur eux ce qui n’est pas suffisamment considéré en nous, nous les haïssons dans la mesure où ils reproduisent notre propre infériorité. Un attachement incompréhensible, un amour démesuré qui estime ne plus pouvoir se passer du « toi » ? parce que ce toi incarne une partie de notre âme ?, obéissent aussi bien à la loi de la projection qu’une-répulsion sans fondement. Tout ce qui est inconscient, et n’est pas reconnu tel, est projeté. La psychologie complexe ne se lasse pas de le répéter. On trouvera dans l’?uvre de Jung, de même que dans les exposés de sa psychologie par d’autres auteurs, de nombreux passages qui abondent dans ce sens et insistent sur l’importance de ces processus psychiques pour la vie des hommes. (L’auteur se permet ici de faire allusion à trois chapitres de son livre « Lebenskonflikte » : « Von der seelischen Projektion » (la projection psychique). « Der dunkle Bruder » (le frère obscur), « Gluck und Gefahr des Seelenbildes » (bonheur et dangers de l’image psychique).)

Une fois que la projection ainsi discernée est retirée et qu’il ne reste plus qu’une projection affinée portant sur des aspects intérieurs, chacune des personnes dont nous rêvons pourra être reconnue sous la dénomination d’une allégorie qui définit un aspect de notre comportement interne. Pour employer un langage allégorique également : La combinaison « chimique » de notre personnalité se résout en ses éléments
premiers lors de l’analyse onirique. Ces éléments portent encore le nom de personnes connues et conservent à peu près leur apparence, ou alors ils prennent l’allure de concepts plus généraux comme « l’enfant », « le frère », « la s?ur » « le paysan », « l’officier », « la jeune fille.,», « le vieux sage », etc. Il faudra ramasser autour de ces figures le matériel provenant de la vie consciente, au moment de l’étude du contexte, afin de voir ce que ces allégories et ces allusions peuvent bien vouloir signifier. Lorsqu’à plusieurs reprises un commerçant dont nous savons peu de choses apparaît en rêve, commerçant qui passe pour avoir honorablement remonté son affaire après une faillite, le rêve ne dit rien au sujet de cet homme ou de notre attitude envers lui ; mais il indique qu’il existe en nous des forces capables de trouver une issue pour sortir d’une situation grave et périlleuse. Si nous voyons une collègue en rêve se caractériser plusieurs fois par une attitude particulièrement rusée dans la façon de délaisser des obligations essentielles au profit de plaisirs d’un mauvais goût, il faudra admettre qu’une telle collègue, obsédée par une conception de vie aussi peu fertile au point de vue humain, existe effectivement en nous. Nous rencontrerons également notre ombre, qu’il faudra affronter et surmonter si nous attachons de l’importance à réaliser une personnalité authentique. Nous désignons par « ombre », sorte de silhouette d’arrière-plan, ceux des traits de notre personnalité auxquels nous ne pouvons donner une place suffisante dans notre vie consciente pour un plus ample développement. Les ombres ont des propriétés que nous n’avons pas reconnues mais qui dès lors ne se confirment inconsciemment que davantage dans les relations avec nos semblables. Au lieu de souffrir en nous et de mûrir par la souffrance de ce côté obscur, nous vivons ces caractères sur les autres, nous les combattons ? par exemple l’avarice ? en la personne d’autrui. Et voilà que ces autres apparaissent en rêve comme une part de nous-mêmes,
comme étant par exemple notre propre avarice. Toni Wolff dit à ce propos : « Sur le plan subjectif, toutes les figures et situations oniriques sont interprétées symboliquement, c’est-à-dire comme étant des images de situations et de facteurs qui appartiennent au rêveur. »

Les rêves de personnes jeunes doivent d’abord être interprétés sur le plan objectif parce qu’elles sont naturellement tournées vers le monde des objets ; pourtant on y trouve déjà des éléments qu’on ne peut comprendre que par interprétation sur un plan subjectif. Il s’agit particulièrement de ces figures oniriques qui, par le truchement de silhouettes familières, notamment de camarades, sont l’expression de cette ombre ; de même les animaux, qui donnent simplement des indications sur la nature et l’intensité des instincts, doivent être interprétés sur ce plan. Plus l’individu vieillit et plus il convient d’interpréter ses rêves sur le plan subjectif. Lorsqu’il est vieux, toute sa conduite se réduit à une affaire subjective, compte tenu de l’adaptation nécessaire aux exigences encore justifiées du monde ambiant. Alors les figures et les actions traduisent le riche symbolisme de l’évolution interne, lorsqu’elle est acceptée ; elles traduisent un symbolisme dont le contenu est effrayant lorsque l’individu se soustrait aux exigences de sa maturation interne. Les silhouettes humaines sont quelquefois expressément désignée comme étant des parents proches ; ils sont précisément du même sang. Il est dès lors facile d’expliquer au rêveur que cet autre est en effet très proche de lui.

On rencontre quelquefois des images archaïques qui traduisent les valeurs appartenant à l’autre sexe qui est en nous; il s’agit alors de l’Anima et de l’Animus qui revêtent d’ailleurs rarement la silhouette d’une personne connue. Ils sont simplement « la belle jeune fille », « la superbe », « la femme sévère », « la femme fatale » ; ou bien en ce qui concerne les rêves féminins : « le bel adolescent », « l’officier », « le médecin », ou bien « le prêtre », « le grand chanteur », « un vieux sage ». Mais il peut également se faire que ce soit une jeune fille de notre connaissance, ou encore une femme qui a fait sur nous une grande impression qui soient utilisées pour figurer l’image psychique, l’Anima. Il reste encore à examiner dans ce cas s’il s’agit uniquement de notre relation psychique avec cette femme véritable, ou s’il est question de la rencontre en nous avec notre nature féminine inconsciente. En ce qui concerne le rêve d’un homme ayant atteint un certain âge, il convient d’examiner l’importance de cette femme réelle dont parlait le rêve d’une manière assez rapide pour insister davantage sur le plan subjectif ; on aide ainsi le rêveur à dégager l’accès vers les richesses intimes de son être.

Il en est de même pour les hommes qui font leur apparition dans les rêves de femmes d’âge mûr. Il sera de plus en plus question d’hommes inconnus qui traduisent les différents degrés d’évolution psychique de la rêveuse.

Il y a des formes, des figures qui expriment des plans encore plus enfouis de notre âme ; ils se situent dans le voisinage de cette dernière instance qui est le principe directeur même de notre vie. C’est à partir de là que la totalité de notre moi est dirigée, compte tenu d’une » liberté d’action relative de la volonté. Le rêve ne peut alors s’exprimer qu’au moyen d’un langage allégorique qu’il convient d’interpréter uniquement sur le plan subjectif. Ce langage se sert des symboles du soi comme par exemple le roi, un prêtre supérieur ; il peut encore s’exprimer d’une façon plus actuelle avec un général en chef ou un dictateur, auxquels fait face le « grand homrne » qui n’est d’aucun temps ; chez les femmes, il s’agit des Nornes, ces femmes qui filent ou tissent le destin des hommes. Mais là aussi, l’allégorie est changeante ; ce centre intérieur peut également être figuré par la source, la pierre précieuse, la fleur d’or, ou plus abstraitement par une circonférence avec son centre, par un serpent, si l’allégorie est tirée du monde animal. Parfois même un visage divin fait son apparition dans le rêve.

Des indications de lieu et de temps peuvent naturellement aussi donner lieu à une interprétation du type subjectif. En nous c’est la guerre ; les contrariétés psychiques se reflètent au moyen d’images franchement sexuelles ; en nous-mêmes, il arrive que nous sortions du dédale des forêts sur une route claire et droite, de puissants fleuves grondent dans notre paysage interne ; ou bien encore nous sommes prisonniers de nous-mêmes. Cette dernière situation a été étonnamment exprimée dans le rêve d’un homme qui se vit condamné à six mois de prison parce qu’il avait dépensé ses forces psychiques dans une mauvaise direction. Et dans le rêve, il cumulait les fonctions du malheureux prisonnier, du médecin de prison bienveillant mais froid et du sévère directeur. Le rêve disait : « Tu es tout ceci, voilà ta situation subjective. » Seule l’indication de temps correspondait à la réalité objective : exactement après six mois d’oppressante introversion, le rêveur commençait une période admirablement productive.

En conclusion de ce qui précède se dégage la notion,suivante : Le monde objectif qui nous entoure aussi bien que le monde objectif de l’inconscient collectif qui est en nous, se trouvent en constante relation avec l’âme dont l’expérience se forme au contact de ces deux domaines. Ceux-ci sont nécessaires pour matérialiser d’une façon symbolique sa nature, son activité, son présent et son avenir par l’intermédiaire des images du rêve. Si notre accent vital porte sur la
vie extérieure, alors les rêves seront emplis par le matériel expérimental de cet extérieur. Il faut donc les interpréter sur un plan objectif. Si l’accent repose sur l’évolution interne, le matériel onirique se compose d’allégories qui empruntent uniquement l’enveloppe de cet « extérieur », et d’images archaïques symboliques. Il convient d’interpréter ces rêves sur le plan subjectif. Entre ces deux grands mondes externe et interne habite notre âme individuelle ; elle leur emprunte l’image de leurs phénomènes pour parvenir à une figuration d’elle-même.

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