Methode d’interpretation dans la psychologie complexe de Jung

1986

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Methode d’interpretation dans la psychologie complexe de Jung

La psychologie de C. G. Jung a mis sur pied une certaine méthode d’interprétation qui prend naturellement sa source dans la connaissance qu’elle s’est faite de l’inconscient et de ses rapports avec la conscience. Beaucoup plus que dans les psychologies de Freud et d’Adler, elle respecte le fait de l’existence de l’énergie psychique, des lois de celle-ci.

Notre exposé a fait comprendre au lecteur, au moyen de nombreuses remarques et de quelques exemples de rêves cités à d’autres propos, quelle pouvait être la méthode
d’interprétation dans la psychologie de Jung, psychologie à l’intérieur de laquelle l’auteur de ce livre travaille d’une façon autonome.

Il convient pourtant de donner quelques explications au sujet de certains contenus, de certains principes d’interprétation et de difficultés pratiques qu’un interprète se doit de ne pas passer sous silence.

Lorsqu’un rêve est présenté, il faut avant tout et toujours commencer par ignorer son sens. On l’aborde évidemment avec les instruments de notre savoir et de nos expériences, mais il faut bannir les préjugés. Il s’agit d’une formation psychique qui possède un langage caractéristique, c’est-à-dire celui qui est approprié à l’expression de l’inconscient. C’est ce langage, ses images et ses symboles, qu’il faut comprendre lors de l’interprétation, de même qu’il s’agit de transposer le déroulement apparemment illogique des événements oniriques dans le langage de la conscience, d’en faire un ensemble de relations causales.

Au début de l’interprétation, le rêve constitue un texte inconnu, dont le contenu et le sens sont également inconnus, rédigé en une langue imagée que nous ne connaissons qu’en partie. Seuls les faits de notre propre expérience nous sont accessibles, bien que leur enchaînement soit souvent loin d’être clair ; d’ailleurs tout comme celles de la vie en général, ces réalités ont un caractère très polyvalent.

L’interprétation commence avec les éléments du rêve qui nous sont connus, c’est-à-dire qu’elle se tourne vers les endroits qui nous semblent posséder une certaine signification en comparaison des événements de notre propre vie.
Il en est de même de certains symboles faciles à interpréter comme le jardin, la guerre, le pont, l’examen ou l’animal sauvage. C’est à partir de ces « îles» qu’on essaiera d’éclairer les côtés encore incompris du texte.

Chaque fois qu’on est arrivé à un certain degré d’interprétation, il faut savoir qu’il ne s’agit jamais là que d’une supposition qui est en train de prendre corps. Certains chapitres du rêve sont devenus plus compréhensibles et éclairent les points obscurs. On avance quelquefois comme lorsqu’on cherche la solution d’une équation à plusieurs inconnues. On pose tout d’abord une valeur inconnue, x, on la cherche et après l’avoir trouvée, on l’insère dans les opérations. On peut procéder d’une façon analogue avec le texte du rêve, par exemple après avoir reconnu un personnage on considère
toute l’interprétation eu égard à ce nouveau facteur. Après avoir déterminé x, le mathématicien cherche y, et après avoir opéré des réductions successives il obtient les valeurs de toutes les inconnues les unes après les autres en faisant les remplacements nécessaires. Finalement il arrive à un résultat qui n’est plus douteux.

Il en est de même pour les rêves ; l’interprète en arrive à un certain sens du rêve. Si ensuite il travaille intelligemment et si avec l’aide du rêveur il joint au rêve proprement dit ce qui revient au contexte et à l’amplification, il en arrivera peut-être même au sens principal.

Il faut particulièrement porter son attention sur les rapports réciproques et l’agencement des différents éléments du rêve. On sent en général sur quoi porte l’accent principal du rêve ; mais il convient aussi de ne pas oublier que le moindre détail peut exprimer un tournant décisif, peut devenir un point de départ dans l’interprétation et lui ouvrir d’autres perspectives. Ce qu’il faut avant tout observer, c’est la succession particulière des événements ; car l’un de ceux-ci est peut-être la condition de ce qui va suivre. Par exemple parce qu’un rêveur a sorti dans l’autobus l’image d’une femme aimée, voilà la voiture qui s’arrête ! Lorsqu’on rêve un vent se lève, l’on peut être sûr que quelque chose d’important va se produire. Il y a ainsi toute une catégorie de figures liminaires, d’images qui annoncent certains événements. Il peut encore se- faire qu’on soit obligé d’accepter quelque chose avant qu’une autre chose se réalise. Ainsi parce qu’une rêveuse se refusait à accepter le misérable pain de seigle qu’un paysan lui tendait, elle ne retrouvait plus la clé de sa maison.
Il importe également de bien observer ce qui résulte de l’arrivée de nouvelles personnes, car elles apportent toujours un changement à la situation. Les rêves que l’on se rappelle comme un tout possèdent souvent une étonnante construction. Ils comportent les mêmes divisions qu’une pièce de théâtre, qu’un drame séparé en actes. C’est ainsi que nous constatons, comme pour l’étude d’une pièce, le temps, le lieu et les personnages du rêve. Le premier acte expose la situation et noue l’intrigue du rêve; après cette exposition un nouvel événement survient qui entraîne une orientation particulière de l’action; celle-ci aboutit alors au point culminant qui est assez souvent souligné par un moment de danger. Ensuite l’action baisse pour se terminer par une finale bonne ou mauvaise.

Voici un exemple très simple pour illustrer ce qui vient d’être dit : le rêveur est assis dans une sorte de char antique. Il descend l’avenue principale en direction de la clinique où il est médecin. Tout d’un coup, sur la petite plate-forme de sa voiture se trouve une magnifique jeune fille qui saisit avec résolution les rênes des chevaux et conduit l’attelage. La voiture a déjà pris une grande vitesse et doit contourner la clinique. Le rêveur fait observer à la conductrice que la voiture risque de se renverser. Elle se retourne vers lui et lui dit en riant avec éclat : « Tout va très bien ! » Ils arrivent ainsi, après cette merveilleuse équipée, sur la place centrale de la ville.

Le lieu : la ville du rêveur. Le temps : probablement un début d’après-midi. Les personnages : le médecin et cette jeune femme, celle-ci étant manifestement son Anima qui prend désormais la direction de sa vie. La situation au début : lé rêveur se trouve sur le chemin de son travail. Quelque chose de nouveau survient : la belle jeune fille. Et voici le danger : le tournant de la rue. Le rêveur doit tourner le lieu qui a jusqu’ici absorbé toutes ses énergies s’il veut retrouver le chemin de la vie. La troisième partie contient le petit dialogue. Enfin le quatrième acte amène le rêveur sur la place principale de la ville qui représente son centre intérieur. Le rêye est favorable parce que la fin amène un dénouement clair et heureux.

Certains rêves sont construits avec trois ou avec cinq actes. Il faut admettre, même si on respecte le développement proprement historique du théâtre, que la division classique en trois, quatre ou cinq actes des pièces a sa source dans l’organisation onirique qui obéit à une très vieille loi psychique.

La fin du rêve est de la plus haute importance. L’expression « tout est bien qui finit bien » vaut également pour lui. Mais une fin heureuse n’est pas obligatoire ; le rêve peut très bien donner sur une catastrophe. Comme il exprime la réalité et la vérité intérieures, il ne se permettra jamais de présenter un arrangement in extremis, un « happy end », car il n’est pas sous la coupe du spectateur qui est ici le rêveur.

Pourtant, quelle que soit la fin, il ne faut jamais interpréter un rêve isolé d’une manière définitive. Le sens heureux ou fâcheux qui s’en dégage n’a de fondement que lorsqu’il provient de l’interprétation d’une série de rêves possédant une certaine homogénéité.

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