Rêve et sommeil

1960

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Rêve et sommeil

Le vrai rêve se passe pendant le sommeil ; il ne peut se former ou subsister que grâce à celui-ci. Dans un de ses récents écrits, Rank dit : « Le sommeil e&t la condition du rêve ; c’est cette scission presque complète du moi et de la réalité, proche de la mort, qui confère au rêre la puissante subjectivité d’un autisme parfait en même temps que l’inépuisable profondeur de l’interdépendance universelle. »

On a reconnu de nos jours que le sommeil est une des grandes exigences de la vie. Tout le monde sait qu’on peut se passer de boire pendant un ou deux jours, qu’on peut rester sans manger jusqu’à quelques semaines, mais que le manque de sommeil entraîne des troubles graves au bout de peu de temps.

Nous ne nous proposons pas d’en dire plus long sur le sommeil dans lequel vient s’insinuer le rêve et au travers duquel celui-ci nous parvient à la conscience. Sommeil et rêve sont différents. Ce dernier est de la vie psychique dans un corps engourdi.

Le moi a toujours montré de la méfiance vis-à-vis des exigences du sommeil. Il n’aime pas être dessaisi de son autorité car il n’est jamais maître du sommeil et tend ainsi à dénigrer celui-ci. La constatation que près du tiers de notre vie se passe à dormir a quelque chose d’extraordinairement troublant pour l’intellect de beaucoup de gens. Plus d’un individu place le sommeil parmi les choses inutiles de son existence et le considère comme du temps perdu ; il dira que précisément pendant ces heures soustraites à son contrôle il peut arriver des choses aussi stupides que les rêves. D’un autre côté on rencontre ceux dont la vie se passe à dormir et qui voient une partie de leur existence se dérouler comme un rêve dénaturé, impuissants à en changer quoi que ce soit. Celui qui méprise le sommeil par une exaltation de la conscience disqualifiera encore davantage la nature du rêve. Ceci ne l’empêchera d’ailleurs nullement d’avoir besoin dé dormir et d’être appelé à entamer une conversation avec les rêves sans y avoir été invité.

Les physiologistes font la différence entre sommeil superficiel et sommeil profond. Il est à présumer que l’inconscient exerce aussi son activité dans le sommeil profond. Pfaff, un des savants du xixe siècle qui ait étudié la question avec
le plus de lucidité, déclare : « Seul le corps a besoin de sommeil, pas l’âme ! » Mais seules les images du sommeil superficiel nous deviennent conscientes.

Peu d’individus s’endorment aussitôt couchés ; mais si c’est le cas, les rêves sont rares. Il s’agit alors presque toujours de schizothymes et il semble qu’ils tombent directement dans un sommeil profond. Mais la plupart des dormeurs passent d’abord devant une série d’images hypnagogiques qui émergent des profondeurs ; ils se trouvent dans un état d’engourdissement où ces images viennent s’emmêler à toutes sortes d’états d’âme et à d’autres images provenant des évé-vements de la journée. Cette confluence de représentations ne dérange pas celui qui s’endort ; d’ailleurs il ne tient pas à les retenir au passage car il redeviendrait lucide « comme en plein jour ».

On a maintes fois observé des hommes endormis changer leur position, se tourner, s’étirer ou se contracter. De nombreux auteurs dont l’intérêt ne se porte que sur les manifestations secondaires du rêve décèlent l’activité onirique du rêveur par son agitation. Il y a des tentatives de mouvements corporels. Hoche constate même un changement dans le rythme respiratoire : « Le déroulement de la respiration laissait souvent supposer qu’il devait y avoir activité onirique. »

La question se pose alors de savoir si le rêve n’amène pas à un trouble du sommeil. Il nous semble que ceci a lieu lorsque le conflit représenté par le rêve possède un potentiel d’énergie trop élevé. ? Le sommeil et le rêve ont chacun une fonction vitale. En considérant les facultés régulatrices de la nature humaine prise dans sa totalité, il est impossible d’admettre que le rêve devienne le trouble-fête du sommeil. Tout compte fait il semble que les deux fonctions physiologique et psychologique s’accordent parfaitement. Mais chaque rêveur sait par expérience que la seule issue possible à une situation onirique pénible consiste dans un brusque éveil.

Le premier savant moderne qui ait étudié les rêves, Sigmund Freud, admettait avec ses disciples que tous sont dans un certain sens des « rêves de commodité », qu’ « au lieu de réagir à une influence externe, psychique ou somatique par l’éveil, ils ne servent qu’à prolonger le sommeil. »

Freud affirmait que, grâce à sa faculté de minimiser et de camoufler les impulsions d’origine presque toujours sexuelle ? car le grand savant était comme hypnotisé par ces dernières ? le rêve est un gardien du sommeil. Nous examinerons
la conception de Freud ultérieurement et dans son ensemble, Le passage du sommeil et du rêve à l’état de veille, et inversement, s’accomplit suivant le tempérament de l’individu en question. L’un se réveille de suite, sa conscience effaçant immédiatement les derniers lambeaux des images du rêve ; l’autre revient lentement à lui tout en continuant à rêver, mais déjà conscient de ses rêves. Beaucoup hésitent alors à délaisser cette existence nocturne pour aborder la quotidienneté lorsque survient la lumière du jour. Ils voudraient tant rester dans le monde des rêves et essayer par tous moyens de chasser cette désagréable clarté. D’autres par contre s’éveillent avec l’impression vive d’une nuit enfin terminée et qui efface en même temps un rêve stupide.

Le rêve que nous sommes capables de retenir ne semble nous parvenir qu’aux environs de l’éveil. Le philosophe Schelling était d’avis, il y a un siècle déjà, que « les rêves sont les précurseurs du réveil. Le rêve d’une personne en bonne santé est un rêve du matin, » II est clair que sans l’aide de la conscience nous ne pourrions pas retenir les rêves. Nous ne savons rien des rêves du sommeil profond ; nous ne pouvons observer qu’en spectateur lorsqu’un dormeur commence à parler, lorsqu’il appelle quelqu’un, se défend en gesticulant ou essaie de se lever.

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